Dans beaucoup de spectacles de danse, on ne danse plus

Plusieurs spectacles de danse, du moins étiquetés comme tels, sont à découvrir dans les jours et semaines qui viennent. Mais on y danse peu. Voire pas du tout. Les danseurs savent tout faire sur scène, sauf lever la jambe : ils chantent, jouent comme au théâtre, lisent un texte, donnent une conférence… Leur performance, proche parfois des arts plastiques, peut être difficile à cerner.

A l’affiche du Théâtre de la Ville, à Paris, à partir du 28 avril, l’artiste flamand Wayn Traub est le symptôme de cette évolution. Sa pièce, Maria-Magdalena, est un solo chanté par Traub lui-même, assorti d’un film interprété par vingt danseurs. “On me place souvent dans la catégorie “danse”, sans doute parce que c’est devenu un espace expérimental où l’on trouve de tout, explique-t-il. Personnellement, je me définis comme un acteur rituel.” Wayn Traub écrit les textes de ses chansons, réalise des films, fait des installations, écrit des livres…

Sur le même ton, le chorégraphe Boris Charmatz, fraîchement nommé à la tête du Centre chorégraphique de Rennes, dresse une liste d’activités identiques – écrire, chanter, etc. Il est le chef de file de ce qu’on a appelé, au milieu des années 1990, la “non-danse” : “Non au mouvement ! Non au décor !…”, en étaient les principes.

Boris Charmatz inaugure son Musée de la danse. Mais là encore, il ne s’agit pas d’une exposition, encore moins d’un musée pérenne, mais de performances. “Pour moi, l’espace de la danse englobe aussi bien l’écriture que la photo, commente-t-il. Lorsqu’on me parle du studio de répétition comme du lieu de mon activité, je ne me reconnais pas là-dedans, ça n’existe plus.”

D’autres noms peuvent être cités. Carlotta Sagna, à découvrir dans Ad Vitam, à partir du 14 mai au Mans (Sarthe), glisse vers le théâtre. Yves-Noël Genod est un acteur et danseur imprévisible : jouera-t-il du piano, fera-t-il chanter ses interprètes, nous plongera-t-il dans l’obscurité, à partir du 14 mai au Théâtre de Chaillot, à Paris ? On pourrait citer le chorégraphe Hervé Robbe dont la nouvelle pièce, Un appartement en centre-ville, est un… film, ou Mark Tompkins qui vient de signer Lulu, une opérette de circonstance.

Comment expliquer cette évolution ? La danse contemporaine a explosé tous les repères. Elle est aussi devenue le laboratoire des autres arts (théâtre, vidéo, cirque…). Au risque de ressembler à un fourre-tout, voire d’être menacée de disparition. “Il n’y a actuellement pas de courant dominant et tout a droit de cité, analyse Christophe Martin, directeur du festival Faits d’Hiver, à Paris. Le chorégraphe devient un auteur-artiste qui n’aura bientôt plus besoin de danseurs pour s’exprimer.”

Le point ultime est atteint par Une pièce mécanique, nouveau spectacle de Geisha Fontaine et Pierre Cottreau : sur la scène, pas de danseurs, mais vingt-cinq robots télécommandés.

Alors le public s’inquiète. Ainsi, le samedi 7 février au Théâtre de la ville, en pleine représentation de Turba, une pièce très théâtrale de la chorégraphe Maguy Marin et du musicien Denis Mariotte, un spectateur en colère a grimpé sur scène pour danser. Maguy Marin a demandé à ceux qui n’aimaient pas son travail de sortir.

LAISSONS SA LIBERTÉ À L’ARTISTE

L’incompréhension et la frustration créent des situations explosives. Les directeurs de théâtre s’arrachent les cheveux sur leurs brochures de spectacles. Comment étiqueter des pièces qui n’entrent dans aucun tiroir ? Le Théâtre de la Ville évoquait la possibilité d’une catégorie nouvelle baptisée “inclassable”. L’idée a été abandonnée. “Laissons sa liberté à l’artiste”, a conclu le directeur, Emmanuel Demarcy-Mota.

Récemment, on a entendu un spectateur évoquer de “la danse dansée” tandis qu’un programmateur se mordait la langue en parlant de “propositions dansées dansées”, ce qui veut dire : “Des corps bougent sur un plateau.” Les adjectifs fleurissent : hybride, multimédia, transdisciplinaire… “Indisciplinaire, rétorque Jacques Blanc, directeur du Quartz de Brest. L’art change, les mots doivent bouger avec. C’est parce que le public et les chorégraphes ne s’y retrouvaient plus, que j’ai changé, en 2007, l’intitulé de mon festival de danse en “Festival des arts indisciplinaires”. Mais la manifestation reste un rendez-vous de danse.”

Depuis un mois, l’Association régionale pour la création artistique et la diffusion en Ile-de-France (Arcadi), qui soutient des spectacles, a fait disparaître le département “danse”. Il est englobé dans un pôle “Arts de la scène” aux côtés du théâtre, de la chanson et du lyrique, sous la direction de Caroline Lozé. “Il nous a paru vital de retranscrire ce qui se passe sur les plateaux, précise Caroline Lozé. C’est la qualité qui importe d’abord, pas que ce soit de la danse ou du théâtre.” Rosita Boisseau